lundi 19 novembre 2018

Deux frères

Le chef de famille officiel
Dès son troisième mois de grossesse, ma femme fut persuadée que notre deuxième enfant serait une fille. Le présumé instinct maternel nous trompa puisque un joli garçon sortit de son ventre. Je ne peux nier, au-delà de la situation actuelle, que la nouvelle me déçut quelque peu. Mais contrairement à ses parents qui rêvaient du choix du roi, notre premier fils, du haut de ses deux petites années, voulait coûte que coûte un petit frère. À son arrivée dans la maison familiale, Xavier reçut un très bon accueil de la part de son aîné : celui-ci dépassa son premier sentiment de jalousie après avoir compris qu’il avait gagné un camarade de jeu inférieur. Très vite, deux caractères diamétralement opposés s’affirmaient. Antoine développait naturellement cette sagesse de l’aîné, celle du premier arrivé qui obéit à ses parents et intériorise son rôle de modèle. Face à lui, Xavier montrait un esprit rebelle et fantasque. Peut-être ma femme le couvait-elle trop à cause de sa santé fragile. Plus chétif, mais aussi plus extraverti que son grand frère, il devint très jeune le petit protégé de ma femme. Je la confrontais de temps en temps à ce sujet et même si elle s’en défendait avec une grande hypocrisie, je voyais bien sa tendresse particulière pour Xavier. Elle retrouvait en lui le charme teinté d’impétuosité de ses ancêtres arméniens. Il était très doué pour amuser la galerie et nous causer du souci avec son comportement dissipé au collège. Tandis qu’Antoine n’était qu’ordre, sérénité et intelligence discrète, Xavier était bruit, fureur et charme effronté. Le premier se dirigea tout naturellement vers des études d’avocat, le type de cursus qui rend les parents fiers. Et nous l’étions. Je suis moi-même notaire, fils de magistrat et jamais je ne pus imaginer une autre voie que le droit ou pour mes enfants.

Disons que Xavier détrompa mes espoirs et n’eut pas tout à fait la même réussite scolaire que son frère. En plus de son agressivité envers ses camarades, il faisait preuve d’un désintérêt non dissimulé pour l’école. Pourtant il aimait lire, était curieux de tout, et même très intelligent. Mais au lieu de se soumettre aux contraintes scolaires pour trouver sa voie à travers elles, notre benjamin excentrique parlait dès le collège de devenir célèbre, tantôt comme écrivain, tantôt comme star des plateaux télé, l’un n’excluant pas l’autre. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ma femme ne balayait jamais ces enfantillages d’un revers de main d’adulte. Descendante de réfugiés arméniens, elle était non seulement habitée par cet instinct de mère orientale surprotectrice et fière de son fils quoi qu’il arrive, mais surtout elle n’avait jamais abandonné l’idée d’enfanter de grands hommes susceptibles de rendre à la France ce que celle-ci avait donné à ses ancêtres.

Alors plus les enfants grandissaient, plus ma femme avait du mal à cacher sa préférence pour Xavier. J’essayais de tempérer en imposant une certaine impartialité et droiture, mais la relation entre une mère et son fils est parfois impénétrable pour le père. Pour ceux qui croient à la psychanalyse, on peut parler de complexe d’Œdipe. Heureusement, Antoine se préoccupait peu de tout cela. Il gardait avec Xavier des rapports empreints de ce mélange classique de complicité fraternelle et de compétition virile. Il n’avait de toute façon pas grand intérêt à affronter sérieusement un adversaire aussi inférieur que son frère : premier de la classe, il était plus populaire au collège et faisait la fierté de son papa. Quant à Xavier, il restait lui aussi persuadé d’être le vainqueur : d’une supériorité intellectuelle le dispensant du moindre effort, il enchaînait par ailleurs les amoureuses. C’est donc tout naturellement et après avoir redoublé quelques classes qu’il quitta l’école à seize ans malgré nos vives protestations et même les pleurs de sa mère. Celle-ci avait beau penser que son fils adoré était trop bien pour le système scolaire, elle ne voulait pas le voir débouler dans le monde du travail sans formation. Xavier quant à lui ne parvenait pas à contenir son impatience et son obsession de la réussite et des filles. Et sa relation avec sa mère n’était pas étrangère au traitement qu’il leur réservait. Tandis qu’Antoine commença dès son entrée au lycée une relation amoureuse avec une charmante camarade de classe, je croisais chaque semaine mon enfant terrible dans les rues de notre petite ville de banlieue en compagnie d’une nouvelle demoiselle.

À dix-sept ans, il entra dans la vie active et ma femme réussit à me convaincre de lui payer un studio à Paris. Monsieur souhaitait prendre son indépendance et raccourcir son temps de trajet pour se rendre à son travail. Même si je montrai d’abord une certaine résistance de principe, je finis par accepter, incapable de refuser quoi que ce soit à mon épouse. Je fis donc jouer mon réseau pour lui trouver un studio très coquet dans un immeuble de standing du cinquième arrondissement. Le cœur de Paris : rien n’était assez bien pour notre futur grand Xavier. À cette époque, il venait d’entamer un nouveau travail de commercial en cartes téléphoniques. Avec sa gouaille et ses immenses facilités en communication, il pouvait vendre n’importe quoi à n’importe qui. Au bout de quelques mois, il commença donc à très bien gagner sa vie grâce aux primes. L’épanouissement et le confort matériel justifiaient ses efforts du début, sans parler du prestige de la réussite sociale aux yeux de son obsession grandissante : les filles. Mais il faisait tout cela « en attendant l’inévitable succès » et trouva bien vite que le travail, chose somme toute nouvelle pour lui, était une occupation trop contraignante. Il nous déclara un jour détester les contraintes car elles bridaient sa créativité. Alors il démissionna au bout de onze mois pour se consacrer à l’écriture. Bien évidemment, nous ne savions rien de ce changement avant qu’il ne nous réclame de l’argent. Il finit par avouer à sa mère qu’il était en fin de droits.
Les choses dégénérèrent rapidement en crise familiale. Ma femme en voulut à son fils adoré de ne rien lui avoir dit et surtout de faire partie des nécessiteux : les bénéficiaires du RSA. Il était trop bien pour cela. Il salissait ses ancêtres arméniens qui ont transformé leur pauvreté d’exilés en richesse grâce à leur travail acharné. A ses yeux, ce fils était indigne de la famille et elle le lui fit rapidement sentir. Chacune de ses visites à la maison donnait lieu à des interrogations de plus en plus insistantes sur sa situation professionnelle.
« Mais mon cœur, tu es doué, pourquoi tu ne retrouves pas un bon travail ?
-          Je te l’ai déjà dit, maman ! J’ai besoin de temps. J’écris une pièce de théâtre et suis sur un projet de programme court pour la télévision. Je ne peux pas me permettre de tout parasiter avec un travail alimentaire. »

Et la plupart du temps, la conversation s’arrêtait là. Ma femme voyait bien qu’il s’enfermait dans cette croyance en un succès imminent. Plus le temps passait, plus les visites se faisaient rares, et finalement plus personne n’osa aborder le sujet par peur de faire monter la tension. Pour ma part, je le reconnais aujourd’hui : je ressentais un irrépressible mépris pour Xavier et crains même qu’il perçut certains de mes regards empreints de reproches. Mais il ignorait très certainement que j’étais le principal objet de ces reproches qui me hantent encore maintenant. Qu’ai-je raté ? Pourquoi n’est-il pas raisonnable et travailleur comme son frère ? Ai-je trop gâté mes fils ? Je chassais toujours de mon esprit l’évidence : j’étais trop fier de mon aîné. Tandis que mon épouse retrouvait en Xavier son propre caractère fantasque, j’admirais ma propre rigueur dans la personnalité d’Antoine.

Vers l’âge de vingt-et-un ans, ce dernier émit le souhait de quitter la maison pour s’installer avec Candice, son amour de lycée. Même si comme tous les parents, nous n’étions pas prêts à nous retrouver seuls, ma femme et moi n’avions pas le choix. Je parvins alors à dénicher pour les deux tourtereaux étudiants en droit un joli petit appartement dans le même immeuble que Xavier, deux étages plus haut.

Le fils modèle
À peine trois mois après notre emménagement à Paris, on décela chez papa un cancer du pancréas à un stade avancé. Le choc de l’annonce fût immense et j’éprouvai aussitôt une culpabilité qui depuis ne m’a plus quitté, comme un lien de causalité entre mon départ de la cellule familiale et la maladie foudroyante qui suivit. Dès qu’il comprit la mort imminente de papa, Xavier sombra dans une folie inextricable, ou plutôt sa folie se dévoila dans toute sa splendeur. Je l’ai toujours trouvé un peu excentrique, comme maman, mais il avait le mérite de me faire rire. Aujourd’hui, il me fait trop de peine. Pourtant je l’aimais bien mon petit frère, car même si j’avais parfois l’impression que maman le préférait, il était une véritable source de légèreté au milieu de toute cette pression exercée par papa. Or c’est comme si cette légèreté perdit son modèle d’opposition, et donc sa raison d’être, quand le père de famille disparut et emporta avec lui son exigence et sa gravité. C’est pourquoi Xavier passa presque mécaniquement de joyeux rêveur à mythomane pathologique et irresponsable. Cela dura une quinzaine d’années. Son appartement était un taudis. Il dépendait entièrement du RSA depuis que maman avait décidé de lui couper les vivres, espérant sans doute le ramener à la réalité par la force de la nécessité. Malheureusement, le contraire se produisit puisqu’il refusait de voir sa misère matérielle et s’enfonçait dans ses élucubrations.
Son four était en panne et comme ses nombreux impayés de loyers l’empêchaient de prévenir son propriétaire, il venait me rendre visite presque tous les jours pour faire cuire ses pizzas vegan surgelées, gracieusement offertes par ses amis. Chaque semaine, il fantasmait le point final d’une pièce de théâtre, d’un format TV ou encore d’une comédie musicale qu’il aurait écrit. Il n’arrêtait pas de dire « Je suis Arménien. Je vais me refaire. » Et quand je descendais pour lui indiquer que la cuisson de son plat était terminée – car il n’avait pas toujours un portable, ou ne répondait pas aux SMS - je le trouvais à chaque fois, sans exception, assis devant la page de sa messagerie AdopteUnMec. Je faisais en sorte de regarder l’écran derrière son dos pour lire ses messages. Ils se ressemblaient tous : adressés à des jeunes filles âgées de 18 à 22 ans, ils parlaient surtout d’elles. Mon frère avait toujours su comment s’y prendre avec l’autre sexe, qu’il considérait comme faible. Comme tous les Casanova cyniques, il montrait un intérêt sincère pour ses proies et se désintéressait d’elles tout aussi rapidement une fois la capture réussie. Le mépris, lui, était présent à toutes les étapes. En coureur de son époque, il faisait rarement allusion à une rencontre de visu dans ses messages. J’ai déjà constaté ce paradoxe chez bon nombre de mes amis célibataires parisiens. Tous sont inscrits sur Adopte, tous exploitent au maximum leur quota journalier de charmes autorisés et passent leurs journées à envoyer des messages via cette application, mais la plupart n’ont pas le courage – même s’ils invoquent le manque de temps ou « la flemme » - de rencontrer ces filles avec lesquelles ils aiment tant converser. Quant à Xavier, je me demandais d’où il sortait ses petites amies puisque visiblement, elles ne provenaient pas du fameux site de rencontre.

Je n’osais pas lui poser la question, encore moins lui faire part de mon avis, mais l’âge de ses petites amies fugaces était de toute évidence lié à son refus borné de la construction. La construction, sinon d’une carrière, d’un projet artistique. La construction, sinon d’une longue relation avec l’horizon d’une famille, d’un couple digne de ce nom. Je suis avec Candice depuis le lycée et même si  son obsession du contrôle et mon addiction au travail n’ont jamais facilité les choses, je sais à quel point les concessions et le recul sur soi-même sont importants pour faire durer un couple. Je sais également à quel point mon frère détestait – et déteste sans doute toujours - les notions de compromis et de stabilité. Il voulait bâtir une maison douillette et solide avec de la paille, accéder à la réussite et à l’argent en travaillant le moins possible, ne comptant que sur ses supposés qualités et talent. Je ne dis pas qu’il en était complètement dépourvu. Au contraire, je l’avais vu à l’œuvre au collège : certaines de ses rédactions étaient brillantes et des enseignants louaient ses prestations orales lors de réunions parents-professeurs auxquelles nous assistions tous les quatre. Des phrases comme « Il a des facilités, mais devrait les exploiter davantage par le travail » revenaient sans cesse, me faisant alors passer pour le timide besogneux et pas spécialement doué.

Malgré tout, je pense tenir ma revanche. Et heureusement que ma mère finit - mieux vaut tard que jamais - par ouvrir les yeux sur son petit dernier et cessa d’entretenir ses délires de paresseux. Candice et moi avons de l’ambition depuis toujours et faisons tout pour parvenir à sa hauteur, contrairement à Xavier qui la confondait avec sa fatigue naturelle et sa vacuité. Il ne travaillait vraiment qu’à séduire de petites étudiantes parisiennes à la fois privilégiées et intéressées. J’imagine qu’il n’en ramena aucune dans son taudis. Elles ne se seraient jamais dévêtues dans un tel décor : odeur permanente de tabac froid malgré la fenêtre ouverte, absence de papier toilette et de gel douche, taches sur le canapé-lit et la moquette, peinture écaillée des sanitaires, sans parler de la vaisselle entassée depuis des mois dans l’évier. Certains qualifieraient tout cela d’appartement de célibataire, mais c’était plutôt quatre murs et un toit pour un clochard. Il devait donc aller chez ces filles et leur inventer mille histoires sorties de son cerveau de mythomane pour qu’elles s’intéressent à lui autant qu’il avait l’air de s’intéresser à elles. Par ailleurs, une fille est toujours plus crédule et moins regardante à vingt qu’à trente ans. Pour Xavier, le désir de chair fraîche n’était donc pas l’unique cause de ce filtrage permanent sur AdopteUnMec. Avec leur libido de jeunes êtres encore en pleine découverte de leur sexualité, elles n’avaient pas spécialement le temps, ni l’envie, de vérifier toutes les données personnelles communiquées par un embobineur comme mon frère. Lorsque je descendais chez lui, je ne croisais donc que ses amis, toujours là pour le taquiner sur ses mensonges tout en remplissant son frigo. A l’occasion de quelques soirées dans des bars, je fis la connaissance de certaines de ses aventures, toutes plus charmantes et cultivées les unes que les autres. De vraies petites Parisiennes : toujours élégantes, toujours intéressées. Si elles avaient su avec qui elles couchaient...

Et puis je croisais aussi cette fille de temps en temps, Elise, une jolie trentenaire que Xavier avait toujours beaucoup appréciée. Elle habitait en Angleterre et venait deux à trois fois par an sur Paris. Si mon frère avait ajouté du travail à son âme d’artiste, c’est avec elle qu’il aurait pu être heureux. Mais puisqu’il restait enfermé dans ses élucubrations et son aigreur, il fermait lui-même les portes d’une telle créature. Celle-ci aurait pu le tirer vers le haut, car elle n’était ni vénale, ni méchante, mais d’un sarcasme sans pitié à l’égard du mensonge. Or elle était déjà bien trop mûre et professionnellement accomplie pour faire semblant de croire à la prétendue gloire imminente de mon frère. Son amitié pour lui ne reposait pas sur ce qu’il prétendait être, mais sur ses véritables qualités. Il la faisait rire, et c’est la raison pour laquelle elle passait toujours un après-midi et une soirée avec lui lors de ses passages dans la capitale. Quand je pense qu’il lui reprochait – comme à nous tous d’ailleurs – son manque de maturité. Elle paraissait si sérieuse et intelligente. Quel gâchis !


Skype à Elise
« Tu sais ce que tu es ? Une femme orgueilleuse et méprisante. Allez salut ! J’en ai marre que tu me rabaisses sans arrêt. Je construis mes relations dans le respect de l’autre et toi, tu te complais dans ton rôle de beauté froide et inaccessible. Tu sais Élise, tu me rappelles mon frère et sa copine parfois. Ils viennent d’avoir un gosse. Ma belle-sœur le prépare déjà à devenir un champion, un surhomme. Le gosse est né il y a sept mois et je ne l’ai toujours pas vu. Ils ont déménagé à Levallois. Et tu leur ressembles, mis à part le fait que tu ne veuilles pas d’enfants. D’ailleurs j’ai été surpris que tu ne veuilles pas d’enfants à plus de trente ans. En tant que femme, tu ne veux pas donner la vie car tu ne t’aimes pas. Tu ne veux surtout pas créer quelqu’un à ton image. »

 « Elise, tu n’es qu’une ado, une petite égoïste. Tu te rends compte que tu as déjà trente-et-un an ?? Et tu ne sors qu’avec des gamins avec des kilos de muscle et rien dans la tête pour être certaine de mieux les dominer. Des crétins, en somme. À chaque fois que je te vois, tu dis avoir un nouveau mec. Je n’aimerais vraiment pas faire leur connaissance. Ils doivent être aussi vides que toi. »

« Tu ne me réponds pas ? Forcément, tu n’as rien à dire. Allez ciao, Elise. Je n’ai pas d’énergie à perdre avec une petite fille comme toi. »
« Tu sais quoi Elise ? Va te faire foutre. Je pense que ta vie à l’étranger n’est qu’une fuite, et même des grandes vacances pour échapper à ton père. Il n’a jamais démontré d’amour à ton égard. Ou alors tu es sa petite préférée et tu crains de ne pas être digne de lui. Tu as vraiment un problème avec les hommes, Elise. Tu es une castratrice. Et tu es tellement superficielle : j’en sais bien plus sur les racailles que je branche sur Adopte en lisant leur profil que sur ta vie, depuis le temps que je te connais. »

« Je te signale qu’avant de partir de chez moi, tu as envoyé des charmes à des thons depuis mon PC. Je ne paie pas l’abonnement Adopte et n’ai droit qu’à cinq charmes par jour, que tu as gaspillés avec des vieilles de trente ans !  Contrairement à ce que tu racontes, je ne mens pas sur mon âge. Je mets l’âge que je fais et c’est tout à fait normal. »
« Quasimodo ? Tu me traites de Quasimodo ? Mais ma pauvre ! Heureusement que je ne sors qu’avec des femmes plus belles et intelligentes que toi, sinon je me tirerais une balle. Je fréquente uniquement des gens humainement enrichissants, ce qui n’est pas ton cas. Tu sais ma petite Elise, il n’y a pas que le physique dans la vie. Mais regarde-toi ! Tu es banale. Des yeux globuleux, un teint affreusement pâle et un corps tellement maigre, limite anorexique. Ça ne m’étonne pas puisque tu ne te nourris que de pâtes et autres plats atroces bourrés de gluten ! »

« Allez Elise. Je t’aime bien, tu sais. Si je te dis tout cela, c’est pour toi. Car tu es certes intelligente, mais vide et très narcissique. Les gamines comme toi imbues de leur personne ont besoin qu’on soit dur avec elles pour avancer. Moi je m’intéresse à l’humain. J’ai coaché Karim gratuitement il y a quelques semaines. Il en est ressorti meilleur. Tu sais qu’il est dans la religion maintenant ? Sans quoi il aurait sans doute violé une femme. Mon coaching lui a fait énormément de bien, comme à David. Il est très narcissique également. J’ai dû le coacher pour l’aider à lutter contre son égoïsme et sa superficialité. Tu devrais essayer toi aussi, car Dieu sait à quel point tu en as besoin. Et tu fais la femme moderne et indépendante, mais jamais aucun homme n’accepterait de travailler autant pour ce que tu gagnes. Ta vie à l’étranger n’est qu’une parenthèse pour échapper à ton papa. »

« Tu sais Élise, je sais ce que tu ressens. Ma mère est une vieille femme méchante, mais dans un travail sincère et empathique sur l’humain j’ai tenté de la comprendre. Elle est dans ses idées préconçues et s’y est encore plus enfermée depuis que mon père est mort. C’est une triste veuve en somme. »

« Élise, tu n’es qu’une personne creuse avec une intelligence émotionnelle proche de celle d’une huître. T’ai-je dis que je venais de terminer mon scénario ? Le film a toutes les chances de se faire. J’ai fait des rencontres intéressantes récemment et noué une belle amitié avec un artiste pour qui j’ai déjà écrit une centaine de chansons. Un bel avenir s’offre à lui et à sa sensibilité. Je le connais depuis à peine deux mois et j’ai construis une relation bien plus sincère avec lui qu’en plusieurs années avec toi, Élise. »

« Tu es immature, Elise. Une ado capricieuse et misandre, voilà ce que tu es. J’imagine que tu as déjà trouvé un nouveau mec depuis la dernière fois, avec des gros muscles et une personnalité inexistante pour céder à tous tes désirs. Notre amitié ne peut pas fonctionner : je ne suis pas le genre de personne que tu fréquentes et c’est pour ça que tu as besoin de me rabaisser. Tu sais Élise, je viens de terminer un scénario et une pièce de théâtre. Ça va se faire. Je suis un vrai artiste contrairement à toi. D’où tes moqueries pour cacher ta jalousie à mon égard. Je vais être célèbre Élise, et pas la peine de revenir vers moi quand le succès me sourira ! Je n’ai qu’une parole. Je suis un mec droit, mais comme tu n’en as jamais rencontré...Allez, adieu Élise, je te laisse à ta stagnation pendant que moi, j’avance. »

« Samir et Ahmed sont passés hier pour un dîner de ramadan. De vrais amis. Ils ont rempli mon frigo et nous avons passé une excellente soirée dans le partage, mis à part la copine moche que Jennifer avait ramené. Ça n’est pas toi qui m’achèterais à manger ! Ou alors des pizzas bourrées de gluten ! Ton cœur est sec, Élise. Je repensais à mon frère et sa copine et me disais que vous faisiez tous les trois partie de la même race. Sous couvert de prétendue réussite professionnelle, vous en profitez pour écraser les autres, les personnes authentiques et généreuses comme moi. Tandis que ma mère se fait de plus en plus vieille et aigrie, Antoine et Candice se disent que je vais crever avant cinquante ans parce que je bois et fume. Ils attendent de toucher le pactole pour mieux couvrir leur môme surdoué, mais je m’en fous de l’héritage et des gens comme vous. Vous n’avez pas le temps de partager, de vivre et de créer à cause de votre travail. Tu as fait des études, et alors ? Tu te bases sans doute là-dessus pour mépriser les autres. Mais toutes ces années passées à trimer ne servent à rien. Regarde, moi : j’ai arrêté l’école à seize ans parce que le système scolaire étouffait mon immense potentiel créatif, et pourtant je vais bientôt devenir riche. Je n’ai aucun problème à mettre dans mon lit toutes les filles ayant les plus belles fesses de leur salle de sport. Mon programme court pour la télévision va bientôt être accepté par France 3. Paris sera à mes pieds et, au sommet de la gloire, je repenserai à toi. Je me dirai que j’ai bien fait de ne pas m’accrocher, comme Antoine et toi, à ce que la société veut faire de ses sujets. Je me dirai que je n’aurais jamais réussi si je n’avais emprunté des chemins de traverse. »







dimanche 11 novembre 2018

Un QG au bord de l'Alster


Pourquoi n’aurait-on pas un QG à soi ? Le mien est ici : au bord de l’Alster, juste derrière le théâtre « Winterhuder Fährhaus ». La première fois, j’y suis allée pour des raisons pratiques. J’habite dans le coin et suis très feignante. Depuis, d’autres raisons pratiques m’ont poussée à l’élire quartier général de ma pomme. Le grand « Stadtpark » est envahi par des chiens en liberté et des barbecues quand le temps le permet. Comme je n’aime ni les chiens, ni l’odeur de la saucisse en plein après-midi, je lui ai préféré ce petit bout d’herbe au bord de l’eau. Enfin d’herbe…ce qu’il en reste, car la sécheresse exceptionnelle de cette année en plus du piétinement – le premier entraînant le second – ont transformé la pelouse verte en étendue jaune et abîmée à peine capable de recouvrir la terre.

Tous les weekends ou presque, c’est rendez-vous au QG. Un livre, une couverture pour se protéger du sol inconfortable, et bien sûr, mes écouteurs. Je me plonge d’ailleurs plus volontiers et longuement dans des vidéos-clips imaginaires – où les figurants qui m’entourent sont bien réels – que dans les romans apportés. Tout est propice à l’évasion, à laisser passer le temps sans ressentir le besoin de courir après, bercée par les différents quarts d’heure annoncés par le clocher de l’église St. Johannis. Il se cache modestement sur l’autre rive, derrière les feuillages, et s’il n’était pas là pour rappeler avec une telle obstination que les secondes, minutes et heures existent et s’écoulent, le parcours du soleil en face de moi suffirait à me l’indiquer. Plus vaguement certes, mais qu’importe. Seuls comptent les figurants  qui se succèdent à mon regard de réalisatrice du dimanche.

Pendant les journées les plus chaudes, des jeunes gens laissent exploser leur souffle vital en sautant du pont réservé aux cyclistes et piétons pour faire résonner leurs cris stridents dans l’air immobile et secouer l’eau froide de leur adrénaline. Entre les sauts, les bateaux de touristes, stand up paddles et canoës glissent devant ma caméra mentale, des groupes alcoolisés aux couples paisibles dont le chien se prélasse au milieu de ses maîtres en plein effort. Leurs ballades illustrent à merveille celles qui passent à travers mes oreilles, tandis que le brouhaha des cyclistes et bruits divers au-dessus de ma tête constitue un fond visuel acceptable pour un morceau des Hives, n’importe lequel.

Et puis il y a Alma. La star. Je n’aime toujours pas les chiens en général, mais il arrive que des chiens en particulier me fassent fondre. Et samedi dernier au QG, tout le monde était amoureux d’Alma. À peine arrivai-je sur la pelouse qu’elle quitta le couple assis sur des chaises pliantes au bord de l’eau pour m’accueillir. Des caresses, quelques tentatives délicieusement ratées de prendre dans sa gueule des branches trop lourdes pour elle, et la voici qui me quitte déjà pour un autre couple, à ma droite cette fois. Je compris alors que ce sublime épagneul nain continental n’appartenait même pas au couple de vieux jeunes avachis sur leurs chaises pliantes. Et non ! Alma allait avec tout le monde et sa maîtresse, la vraie, avait beau l’observer avec un sourire et l’appeler de temps en temps pour profiter de la peluche à son tour, elle continuait ses visites câlines et joueuses d’étranger en étranger, avec une nette préférence pour les couples. Un excellent moyen de doubler les caresses.

Les admirateurs s’accumulaient en cette douce après-midi d’automne. Une mère et sa fille se mirent à questionner la jeune étudiante sur les nom, sexe et maternités passées ou futures d’Alma, avant de tenter, avec le concours de l’heureuse propriétaire, de faire poser la star pour immortaliser cette rencontre. Un vieux passant fit de même et lâcha sa canne pour confier son appareil photo à la jeune femme.
Tout cela, c’était le weekend dernier. Nous sommes aujourd’hui dimanche, soit huit jours après le coup de foudre. Alma est là, se redresse pour me souhaiter la bienvenue sur le sol de mon – notre – QG, mais elle est retenue par une laisse. Allongée à côté d’une amie de sa maîtresse studieuse, elle devra réserver ses caresses et léchouilles à ce bipède fort possessif. L’été indien n’a jamais été aussi superbe qu’en ce quatorze octobre deux-mille dix-huit, et Alma, même privée de distribution d’amour, reste la star du QG, à l’image d’un soleil pourtant couche-tôt.



dimanche 7 octobre 2018

Reeperbahn Festival 2018 : 19 – 22 septembre


Le temps vole, comme on dit dans la langue de Goethe, et nous en sommes déjà à raconter ma deuxième édition du Reeperbahn Festival. Je vous passe les détails sur l’identité de ce festival, tout est ici. Retenez simplement que c’est LA rencontre de l’industrie musicale en Europe : les jeunes groupes du monde entier s’y produisent pour se faire connaître auprès des labels. L’autre pan du festival consiste en de nombreuses conférences pour professionnels du secteur, mais je n’y étais pas et me limiterai aux concerts.

Cette année malheureusement, une méchante sinusite m’a pris mon samedi et « seulement » trois jours seront chroniqués.

Nouveauté pour ma part, les films. Et oui, ils font partie du programme et ont la particularité d’être projetés dans un petit cinéma indépendant, L’Abaton, hors du périmètre de la Reeperbahn. J’ai donc inauguré mon édition 2018 par « Here to be heard : the story of The Slits », un documentaire sur le premier groupe punk féminin. Y interviennent entre autres les musiciennes de la formation d’origine : la bassiste Tess Pollitt, la guitariste Viv Albertine et la batteuse Palmolive. Du fond de cette salle quasiment vide, je n’ai pas appris grand-chose, si ce n’est qu’elles ont été les premières à promouvoir la laideur chez la femme, comme le montre la couverture de leur album Cut



Et rien que pour cela, elles sont admirables. La personnalité loufoque et bruyante d’Ari Up transcende le film malgré sa disparition des suites d’un cancer qu’elle a refusé de soigner. Mais le plus grand plaisir de ce film plutôt ennuyeux était de voir des images des premiers concerts des demoiselles reggae et de les écouter, tout simplement (Typical girls, Animal Space), car c’était avant tout un bon groupe, novateur et qui a su évoluer, sortir du punk au début des années 80 pour aller vers le reggae et les sonorités africaines.

Le passage aux choses sérieuses, aux concerts donc, a commencé avec Jett Rebel au minuscule St. Pauli Museum. Et franchement, belle entrée en matière. Énorme talent, qui confirme la tendance observée l’année dernière de la qualité des artistes néerlandais.

Dans un autre registre, bien plus au Nord, j’ai eu un énorme coup de cœur pour FRUM des îles Féroé. Une voix extraordinaire, et c’est souvent le cas pour les chanteuses venant du froid, une électro-pop parfois planante, parfois dansante, et même des accents de musique urbaine dans Beat. Bref, un excellent moment passé au Nochtspeicher.

Après une brève transpiration dans un sauna encore plus insupportable pour écouter les Français MNNQNS et leur rock assez répétitif (mais qui selon les dires d’un ami s’est amélioré suite à mon départ), traversons la rue pour aller dans le beau Schmidts Tivoli applaudir une dernière chanson du fou-fou sympathique Flavier Berger qui précède LA vedette.

Alors Julien Doré, comment dire…Il a le don de composer des mélodies sublimes et irrésistibles. Le problème, ce sont ses poses, sa personnalité agaçante sur scène et pire, les versions live de ses chansons qui perdent en intensité. Grosse déception de cette première journée.



Heureusement que la soirée se termine dans la fraîcheur avec les jeunes Norvégiens de I am K au Mojo Jazz Café. Une belle voix et des mélodies efficaces qui nous ont vite fait oublier la star francaise plus blasée que nouvelle.

Jeudi, jeudi. Débutons cette deuxième journée par deux petits concerts sympathiques sur fond d’après-midi ensoleillé. Rock N Roll Radio est un groupe coréen – je n’exagérais donc pas quand je parlais de festival d’envergure internationale en préambule – au rock parfois garage, parfois plus 80’s, mais toujours agréable.



Mon coup de cœur de la journée va à Aquarama, ce petit groupe italien qui nous livre sur la petite scène du Sommer Salon une pop sucrée et dansante, notamment grâce à des percussions irrésistibles.


Et la pluie apporte dans sa morosité mon dernier jour de Reeperbahn festival, même si je l’ignorais encore et me sentais en pleine forme à ce moment-là. C’est donc le corps plutôt en forme tout en recherchant un abri, le cœur léger et l’esprit assoiffé de nouvelles connaissances que je me dirigeais vers l’Abaton pour visionner un documentaire canadien portant sur une problématique féministe. Dans Play Your Gender, la musicienne Kinnie Starr récolte les témoignages d’artistes féminines et d’une poignée d’artistes masculins sur la présence des femmes dans l’industrie musicale. Attention, il ne s’agit pas de leur présence tout court, mais de la représentation de notre sexe aux postes de pouvoir : de la composition à la production en passant par le travail des ingénieurs du son. Aucune surprise : les femmes sont très visibles – on trouve bien des chanteuses sexy à longueur de clips – mais ce sont presque exclusivement des hommes aux manettes. L’immense majorité des chansons interprétées par des femmes ont été composées, arrangées et produites par des hommes. Alors comme partout, on nous dit que les femmes commencent à pénétrer ces métiers techniques, mais la proportion reste infime. Bref. Rien de nouveau sous le soleil, y compris pour la grande mélomane non professionnelle que je suis. C’est dire pour les autres…

C’est donc l’esprit déçu que je rentre à la maison pour patienter jusqu’aux premiers concerts de la soirée. Le premier d’entre eux me fait vite oublier cette perte de temps cinématographique car Hyphen Hyphen est fidèle à sa réputation de bêtes de scène. La chanteuse a toujours de beaux graviers dans la voix et les morceaux de leur deuxième album semblent à la hauteur du premier. On peut clairement dire que les Niçois ont fait exploser le Bunker.



Direction l’obscure Bernhard-Nocht-Straße pour terminer la soirée au fief des artistes danois, la Nochtwache. Et quel kif, mes aïeux ! Après le bon rock pur et dur, mais aussi entraînant, de TheFlorines, je pensais qu’on allait difficilement faire mieux. C’était sans compter l’arrivée du « duo qui sonne comme un quartet », The Courettes. La salle est minuscule et comme pour le groupe précédent, je pouvais à peine voir le haut de la tête des musiciens – de la chanteuse-guitariste en l’occurrence - pendant le concert, mais alors quelle énergie ! Le look est là, le son est garage cra-cra comme on aime, tout en employant des mélodies faciles à suivre. On s’approche plus du recyclage que de la créativité, mais qu’est-ce que ça fait du bien ! Le batteur avait raison de conclure son show par « You can go home now, cause you’ve seen the best », car j’ai suivi son conseil. Cette édition 2018 s’achève en laissant derrière elle un bilan mitigé : sinusite, fatigue et samedi sacrifié, mais aussi mon coup de cœur général en guise de clôture. Les places sont prises pour leur passage au Pocca Bar le 20 octobre. Je fais enfin les VOIR.

Quant à toi, Reeperbahn Festival, tu ne perds rien pour attendre. Le pass 4 jours pour 2019 est pris et on croise les doigts pour tenir jusqu’au bout cette fois !

jeudi 27 septembre 2018

Une affaire d'État - Chapitre I : L'obsession de Morganne


«  T'es au courant que la cigarette n'est plus cool depuis une dizaine d'années ? »
Morganne regarde sa petite amie du moment avec une inexpression méprisante. Elle a dépassé le cap faussement capital de la trentaine, avoué son homosexualité à sa famille de gaullistes miséreux, ne leur parle plus depuis le froid qu'elle a jeté dans leur relation déjà tissée d'incompréhension, et surtout, ne s'est jamais intéressée aux garçons. L'individu qui s'est libéré des contraintes, de la soumission au désir de l'autre sexe s'est libéré de tout le reste. Il se moque sincèrement de ce qui est « cool » ou non. Dommage que Joëlle soit encore si soumise aux modes et au jugement de la masse. Ou peut-être est-ce grâce à cette fragilité que Morganne daigne passer du temps avec elle en dehors du lit. Cheveux longs, voix aigüe et démarche plutôt féminine, on sent bien qu’elle n’est pas encore totalement lesbienne, ni même bisexuelle. Morganne pense qu’elle se cherche encore et que ce sera quitte ou double pour son orientation sexuelle définitive. Une chose est sûre pour l’instant, le duo fonctionne à merveille. L’une pense et agit, l’autre nuance et appuie.

Le principe de fonctionnement du couple a bien été respecté depuis la récente découverte de Morganne, désormais l’unique objet de ses pensées. Elle sait tout, et contrairement aux sangsues hypocrites parisiennes qui en savent autant, elle n’a pas l’intention de se taire. René Ducros-Cambre, directeur de la police judiciaire de Paris depuis une dizaine d’années, n’est pas soupçonné de, mais couvre un réseau de prostitution exploitant en partie des mineures. Des langues policières et ambitieuses se sont déliées : RDC souffre d'une dépendance aigue au sexe agrémentée, comme c'est souvent le cas, d'un goût pour la chair très fraîche.

Morganne obtient toujours ses petits scoops à l'horizontale, des séparations de couples emblématiques aux futures démissions de ministres charismatiques. Mais elle n'avait encore jamais eu droit à une affaire d'État étalée sur l'oreiller. Cette première, elle la doit à Mélanie Le Brun du Puits, stagiaire depuis un an au service police-justice de l'une des plus grandes chaînes d'infos en continu du pays. Le problème de Mélanie n'est pas tant son manque de résistance à la vodka que sa tendance à avoir l'alcool bavard. Elle-même n'en sait pas plus sur les sources, elle a juste entendu des bruits. Discrète, personne ne se méfie d'elle, et certains collègues murmurent à la machine à café où à la cantine. Le rédacteur en chef aurait subi des pressions et songe sérieusement à ne rien révéler.

« T'entends ce que je te dis ? Et ça serait dommage de gâcher un corps pareil, dit-elle avec un sourire coquin.
- Hein ? Oui ?, susurre Morganne en écrasant sa cigarette, réalisant qu'elle était perdue dans ses pensées, toujours les mêmes.
- Ne me dis pas que tu en es encore à cette histoire de putes ?? Laisse tomber ! En quoi ça te regarde ? Et c'est dangereux, surtout. Bertrand t'a bien dit qu'il n'en ferait rien lui-même."
Morganne avait bien pris soin de ne pas lui nommer la source des infos, sans parler des circonstances d'obtention. Elle a donc demandé à son meilleur ami, lui aussi journaliste, de la couvrir.

Le nombre de personnes mises au courant dans son entourage s'élève désormais à trois, un chiffre énorme. Fort heureusement, Morganne peut compter sur la discrétion de Bertrand, lui-même journaliste politique depuis onze ans et dont la mémoire aurait largement de quoi la faire pâlir, avec son scoop ridicule. Mais pour le moment, il ne sortira pas ; seule Morganne, pas encore totalement écrasée par le cynisme, refuse de faire comme si tout était normal. La révélation devient une obsession avant de modifier son comportement social. D'habitude très fêtarde, la jeune lesbienne s'isole car elle n'a plus qu'une idée en tête : faire tomber RDC en utilisant Mélanie.

Simone de Beauvoir pensait que l'on ne naissait pas femme, mais le devenait ; or la trajectoire intellectuelle de Morganne prouve que l'on ne naît pas non plus féministe ou lesbienne, mais que les hommes vous y poussent. Aucune réflexion murie en solitaire à la lumière d'une bougie. Juste un pervers narcissique qui rabaissait sa mère et ses sœurs jusqu'à ce que Morganne, l'aînée, le dénonce auprès de l'assistante sociale de son collège. Elle devait avoir treize ans. Ou quatorze ? Sa mère lui en avait voulu pendant les premières années à cause des problèmes d'argent qui ont suivi. Et cette même période, celles de la maudite adolescence, avait été atroce pour Morganne. Entre les garçons boutonneux obsédés par leur sexualité et les filles obsédées par leur ligne ET leur sexualité, la weed et les dissertations lui ont sauvé la mise. À la fac de lettres, les choses ont changé et Morganne, avec l'aide d'une étudiante en cinquième année, s'était définitivement débarrassée du fardeau de la féminité. Elle était devenue lesbienne, légère et forte. Mieux dans sa peau que jamais.

Du haut de son petit nuage de Terrienne décomplexée, elle pouvait voir comment les hommes abusaient de leur position. De stages en stages dans le journalisme, elle voyait les exemples d'abus de pouvoir se suivre et se ressembler. Les minettes en profitaient, en jouaient, du port du décolleté au - rare, tout de même - passage à la casserole, celles qui n'avaient aucun contact, celles qui débarquaient dans la jungle parisienne, se débrouillaient autrement. Parfois le travail ne suffit pas. Les garçons intriguaient, séduisaient les quelques fois où les directeurs de rédaction étaient des directrices, tandis que les filles se contentaient d'exploiter leur jeunesse.

Morganne quant à elle s'était démarquée non pas grâce à son travail acharné - tout le monde ou presque se donne à 100 % dans ce genre de métiers convoités - mais par son culot, sa grande gueule, sa ténacité, comme on dit poliment. Et sur un malentendu, ça a marché : un stage dans la rédaction de l'édition lorraine du quotidien France Actu, puis un CDD, un autre CDD, puis encore un CDD au sein de la rédaction nationale à Paris. À partir de là, le parcours classique de la provinciale moyenne. Le squat chez les collègues, des amantes mensuelles ou hebdomadaires, et enfin le Graal : la chambre de bonne à 800€ par mois. Maintenant tout va bien, elle est en colocation avec Betrand et travaille - en CDI ! - comme chroniqueuse chez France Actu. Les débats d'actualité la passionnent. Chaque jour que le Dieu des journaleux fait, elle massacre ou encense des personnalités médiatiques. Politiques, acteurs, chanteurs ou starlettes du PAF, rien n'échappe à "Mordame", le pseudonyme de celle qui a un avis sur tout, mais qui le donne avec style.

Jusqu'ici, les "affaires" ne la touchaient pas outre-mesure. Elles n'étaient que matière première à s'indigner sur papier, mais certainement pas des choses à prendre au sérieux. Ses idéaux de jeune fille sur la justice sociale, l'oppression des plus faibles, la cupidité et le cynisme des puissants, même le féminisme, n'étaient pour la jeune femme que des contingences, des outils pour fabriquer ses figures de style sur fond d'indignation de pacotille. En revanche, les soirées alcoolisées, les conquêtes et la littérature sont nécessités. Il n'en est rien de l'affaire René Ducros-Cambre. Cet homme cristallise toutes les révoltes qui sommeillent encore en Morganne malgré tout. Il a la soixantaine et appartient donc à la même génération que son père, celle qui n'a pas été biberonnée au porno, mais aux blagues sur les blondes et les femmes qui ratent leurs créneaux. Il abuse de sa position. Il aime les gamines. Elle n'a jamais pu supporter cela. Quand elle repense à tous ces vieux libidineux qui, pourtant à l'aube d'un nouveau millénaire, hurlaient sans complexe que la petite Alizée étaient "bien sexy", Morganne se dit que la morale n'est pas forcément là où elle doit être et qu'on l'emmerde bien trop pour son look de butcher et ses chroniques virulentes. Le choquant est ailleurs. La bave de ces vieux libidineux qui fantasment sur des nymphettes mériterait d'être remplacée par un crachat morveux dans leur figure.

« T'as raison Joëlle. C'est pas notre problème, après tout.
- Évidemment. Si tu commences à être perturbée par la moindre affaire de mœurs, ce monde n'est pas fait pour toi. Bon allez, on y retourne passionaria ?
- Ouais », répond Morganne avec un faux sourire, incapable de mobiliser les muscles de la partie haute du visage.

vendredi 3 août 2018

Le mardi soir


En 2016, je me suis envolé pour la Corée par hasard. Cela faisait des années que je voulais découvrir l’Asie, et puis un jour, l’occasion s’est présentée grâce à des amis peu adeptes de la procrastination, contrairement à moi. Nous sommes avons visité le pays en juillet, au beau milieu d’une chaleur humide insoutenable pour les Européens. Mais l’exotisme et la nourriture valent toujours le coup de transpirer abondamment. J’ai adoré. Je suis dingue de ce pays et même l’immensité polluée de Séoul m’a conquis. Comme c’est souvent le cas dans l’attachement des hommes à un pays, les filles y sont pour quelque chose. Tellement mignonnes, bienveillantes et curieuses dès qu’un Occidental se présente à elles.

J’ai eu du mal à chasser la Corée de mes pensées une fois ma routine reprise à Hambourg, la ville où j’habite depuis que j’ai quitté Grenoble il y a quelques années. Voyageur et expatrié, toutes les conditions sont réunies pour que vous m’imaginiez en jeune baroudeur avide de découverte de nombreux pays. Et bien pas tant que ça. Je n’ai jamais fait de tour du monde et comme je vous l’ai dit, mon premier voyage en Asie remonte à deux ans seulement. Il a même été ma première aventure hors du continent européen.

J’imagine que le dépaysement est la principale cause de mon amour porté à cette contrée lointaine, celle qui chapeaute toutes les autres. Mais peu importe, finalement. Ce qui compte, ce sont les faits. Les voici : physiquement au travail, avec mes collègues, mes amis et mes collocs le weekend, j’étais mentalement en Corée. La première semaine, je pensais que tout cela n’allait pas durer et que mon investissement dans le quotidien reprendra le dessus à mesure que les souvenirs s’estomperont. Que nenni ! Je regardais mes photos tous les jours dans le métro, et environ un mois après la fin de ces vacances incroyables, j’ai commencé à apprendre le coréen. Quel pied ! Moi qui aie toujours aimé le défi que représente l’apprentissage des langues, j’étais servi. Et puis ça fait toujours du bien de faire marcher un peu son cerveau quand les études sont loin derrière et que la vie de bureau devient d’un ennui parfois abyssal. Je suis développeur informatique pour une grande entreprise d’import-export depuis deux ans et croyez-moi, mes facultés intellectuelles se sont ramollies au rythme de la vie professionnelle parsemée de journées en home office guère plus palpitantes.

Alors j’y ai pris goût. Je me suis juré de ne pas abandonner. L’apprentissage d’une nouvelle langue à l’âge adulte peut s’apparenter à la pratique d’un nouveau sport : on s’excite au début, on en fait des tonnes, et puis à force d’avoir trop donné, on finit par se lasser au premier obstacle majeur. Pour être certain de garder le cap et de travailler mon oral, j’ai rejoint un groupe Facebook « Tandempartnersuche in Hamburg » et posté une annonce en vue d’un tandem allemand (ou français)-coréen. Par souci d’allier l’utile à l’agréable, j’ai ignoré les quelques réponses et messages privés envoyés par des hommes. Puis j’ai sélectionné la plus jolie : Jae-Hwa. Nous avons brièvement échangé sur Facebook Messenger et, tombés d’accord sur l’objectif du tandem – quoi que…elle ignorait sans doute mes intentions cachées -, nous avons convenu de nous retrouver pendant une heure et demi, tous les samedis après-midi, au Starbucks de Jungfernstieg. Malheureusement, comme c’est souvent le cas avec les filles, à l’ère de Tinder, de la superficialité et du paraître « débordé », elle n’est pas venue. Rien de grave en soi, si ce n’est qu’elle m’a prévenu le matin même. Et vous savez quoi ? Jae-Hwa signifie « respect et beauté » en coréen. Pour le premier mot, on repassera. Pour le deuxième, Photoshop ne corrige que les images. Il ne peut rien contre la laideur des caractères.

Je reconnais avoir été quelque peu démoralisé par cette mini-trahison, sans toutefois m’être laissé abattre. J’ai donc reposté mon annonce et au bout de quelques semaines, la charmante Hyun-Ae a mordu à l’hameçon. Dès le premier message, j’ai compris qu’il allait y avoir du boulot ! Elle avait du mal à aligner plus de trois mots en allemand sans faire des fautes de grammaire ou d’orthographe. Parfait. Je lui serai d’autant plus indispensable. Le rendez-vous a été pris sans délai, Hyun-Ae était d’autant plus motivée et pressée qu’à l’époque, elle n’habitait en Allemagne que depuis quatre mois. Déjà très occupée pendant le week-end, elle a proposé le mardi soir à 17h30 au Friends & Coffee, près de l’Hôtel de Ville.

En bon Français, j’étais en retard et elle m’attendait déjà au premier étage, sirotant un verre de Bionade orange. Quand elle a levé les yeux pour répondre à ma salutation, j’ai immédiatement revu Séoul dans son immense sourire asiatique. On ne va pas sortir les violons et parler de coup de foudre, mais j’ai senti que j’allais vite progresser en coréen. La conversation a vite pris. Je ne suis pas timide pour un sous et Hyun-Ae sait mettre à l’aise avec son sourire permanent, son petit rire d’enfant poli et ses maladresses grammaticales. C’était un vrai plaisir de l’écouter se présenter en allemand, de la corriger patiemment et de la voir si déterminée à apprendre. La rigueur, le zèle asiatique. Puis mon tour est arrivé et une pluie de compliments s’est abattue sur moi « Oh mais tu parles tellement bien ! » « Où est-ce que tu as appris à parler comme ça ? » « Mais je suis ridicule par rapport à ton niveau ». Quel rayon de soleil. Je n’ai pas vu nos trois heures trente passer et les serveuses antipathiques – encore des grosses Allemandes en friche – ont quasiment dû nous mettre dehors à la fermeture du café. Lorsque, après l’avoir quitté, j’ai enjambé ma monture à deux roues, le vent hanséatique glacial de novembre soufflait comme une brise d’été sur mes joues enflammées d’homme sous le charme. Je devais avoir l’air idiot avec mon air de ravi de la crèche. L’ennui professionnel m’est totalement passé au-dessus de la tête jusqu’au vendredi et la douce Hyun-Ae n’a pas quitté mes pensées pendant mon weekend constitué en priorité de soirées hautement alcoolisées. Le mardi était devenu mon jour préféré. Qui peut se vanter d’un tel privilège ? Le soulagement du vendredi et l’ivresse du samedi sont devenus bien fades depuis que mon tandem existe.

Mais rien n’étant jamais parfait et sentant que je vous fatigue avec mon étalage de midinette, il faut que je vous raconte une petite ombre au tableau. C’est elle qui a choisi le lieu ; il est bien situé et c’est le principal. Il est toutefois bruyant et accueille tous les mardis une sorte de club d’écriture pour Français. Enfin pour Françaises, soyons  précis. Elles ne sont pas débiles comme la plupart des groupes de filles, mais je sens bien qu’elles nous observent et même si je n’entends pas tout ce qu’elles se disent, je ne suis pas dupe. Elles se moquent un peu de nous et, meilleures observatrices qu’écrivains, voient bien que je drague ma partenaire linguistique. Qu’elles ne me cassent pas mon coup, ces mégères ! Quitter la France pour voir des compatriotes déstabiliser mes tentatives de séduction intercontinentale, ce serait un comble.

Peu importe. C’est un détail insignifiant que je vous ai relaté dans le seul but de changer un peu de disque pour ne pas verser dans la mièvrerie absolue. Hyun-Ae, « pleine de sagesse » en coréen. Et mon Dieu qu’elle l’est. Persévérante, appliquée et attentive. Méritante avant tout, car débarquer de Corée pour s’installer en Allemagne sans connaissances préalables de la langue est un acte admirable. Je l’adore. Elle a la politesse de rire à mes petites blagues, ce que les Européennes castratrices – pléonasmes – refusent toujours de faire. À quoi sert une femme si ce n’est à mettre en valeur son partenaire masculin ? Qu’elles ne viennent pas se plaindre d’être seules, ces pestes occidentales. Heureusement que Hyun-Ae me donne une bouffée d’oxygène dans ce monde si malveillant pour les hommes. Un sourire presque greffé sur le visage, des petites remarques effrontées mais tellement irrésistibles, comme ses moqueries à chaque fois que je couvre mon crâne de mon foulard têtes de mort avant de partir. Je sais bien qu’il me faudra prendre mon temps et redoubler de patience avant qu’elle ne m’autorise à sortir avec elle, mais c’est justement ce qui me plaît chez les Coréennes. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Vous savez quel jour on est ? Lundi. Il est 15h30 et je préfère vous parler de Hyun-Ae plutôt que de travailler. Comme tous les lundis depuis déjà six mois, je ne pense qu’au lendemain.



mercredi 18 juillet 2018

Rien à foot


Ai-je le droit ou ne l’ai-je pas ?
Les Bleus Blacks Blacks Blancs ont gagné,
Mais jamais la masse dans le sens tricolore je n'ai peigné.
Ai-je le droit ou dois-je comme elle crier avec les bras ?

Si la culture est au centre de ma douce vie,
Les festivals et lectures au soleil rythment mon été,
Et ignorent naturellement l’enthousiasme cocardier,
Ai-je le droit de ne céder qu’à mes envies ?

La nation a gagné et je suis heureuse pour vous tous.
Exultez jusqu’à la prochaine grève !
Jouissez fort de votre belle trêve !
Car toujours la paix s’émousse.

Chômage, injustice et violence reviendront.
La victoire n’est-elle pas déjà entachée ?
Locaux saccagés et femmes agressées
Portent les stigmates du patriotisme viril et con.

Non je ne suis pas fière d’être Française
Mon amour pour mon pays est si évident
Qu’une déclaration le rendrait moins puissant
Les vrais sentimentaux, eux, se taisent.


mercredi 20 juin 2018

Bring back the noughties


Rares sont les groupes qui ont survécu à la mode de l’irrésistible revival rock-indé-garage-blousons en cuir des années 2000. Placebo, dont j’idolâtrais autant la musique que le charisme de son leader, ne fait plus que de la soupe depuis l’album Loud Like Love. Dans ma grande bonté – et objectivité, j’épargne Battle for the sun car il contient la sublimissible Kings of Medicine. Les purs et durs de la première heure vont même jusqu’à pointer du doigt Sleeping with ghosts comme le début de leur descente musicale. Seule une tournée anniversaire en 2016 pouvait leur permettre de jouer des morceaux corrects, les anciens donc.

Les White Stripes n’existent plus. Les Strokes, n’en parlont pas, même s’ils ont fait des petits. Le dernier album d'Arcade Fire est à des années lumière de Funeral. Les Arctic Monkeys, petits derniers de la décennie, bébés de MySpace (ouh tu la sens la madeleine ? Attends un peu, et si je te dis : MSN+wizz ?), ont « évolué ». Leur nouvel album AM possède un pouvoir soporifique d'autant plus étonnant que je me réveillais au son de Whatever People Say I Am That’s What I’m Not sur le chemin des cours.

Et les Libertines, on en parle ? Ce groupe si emblématique de cette décennie bénie, avec son histoire d’amitié tumultueuse



et son leader iconique…Disparu. Mieux vaut ignorer leur album sorti en 2015, après leur reformation - d’ailleurs, si le public pouvait arrêter de s’extasier à chaque reformation de son groupe favori, cela découragerait les velléités des artistes refusant de comprendre que bien souvent, on ne peut être et avoir été – car la seule chanson appréciable d’Anthem for Doomed Youth


a été écrite pendant leurs heures de gloire. Le reste est à jeter, tout comme la carrière solo de Doherty, et contrairement à l’excellent Let It Reign de Carl Barât and the Jackals,



que j’ai eu la chance de voir en live en 2015. Du bon rock dans une décennie électro et auto-tunée : une exception qui confirme la règle. Dommage que l’ancien beau gosse du duo n’ait pas persévéré loin de son comparse historique, préférant sans doute à la bonne musique et à une tournée européenne dans des petites salles les grands festivals que le nom – et certainement pas la qualité des prestations en live – des Libertines permettait d’atteindre. Le fiasco au Rock en Seine la même année me donne malheureusement raison.

Alors quoi ? Doit-on en conclure que les meilleurs groupes des années 2000 se séparent dans le meilleur des cas, ou se reforment dans le pire ? Doit-on se faire à l’idée que le rock est absolument et définitivement une musique de vieux ? Que cette décennie où le rock, victime de son succès, était si hype qu’il avait donné naissance à des lolitas pseudo-rockeuses ultra-formatées – Avril Lavigne, Evanescence, Emma Daumas et j’en passe – n’était qu’un dernier soubresaut avant l’extinction d’un genre musical subversif ? Les jeunes vieux de trente ans et les vrais vieux qui ont connu les années 70 n’auraient plus qu’à se contenter pour les uns de reformations minables, pour les autres de concerts à 500 EUR la place pour voir – enfin pas vraiment, la scène est trop loin – des papys s’accrocher à la rampe ? Plus rien ? Plus de créativité ?

La mélancolie est tentante et je succombe volontiers à ses musiques électriques, idéalisant une décennie qui m’a pourtant vue adolescente et jeune adulte mal dans sa peau. Oublier la réalité d’un passé dans l’adoration triste et nostalgique de sa bande-son. Et bien oui. La mélancolie, c’est bon, c’est ouaté. Et on peut s’y complaire avec bonheur, se comporter comme une vieille conne à l’écoute de ses vieux albums en disant « CA c’est de la vraie musique, pas comme les daubes qu’on entend aujourd’hui ».
Mais allons plus loin et soyons honnêtes. Il reste :

     1)  Des groupes de rock formés dans les années 2000 qui continuent de sortir des albums à la hauteur des précédents. Incroyable, mais vrai. En live, ces exceptions qui confirment la règle sont excellentes, chacune à sa manière et égale à elle-même/ses débuts. L’une a été le premier concert de ma vie en 2004, d’où la place toute particulière qu’elle aura toujours dans mon cœur.



L’autre a donné un concert magique au Art Rock de 2017.


   2) Des groupes bien plus anciens, de générations précédentes, qui restent excellents et constituent de véritables légendes vivantes, qu'il s'agisse de la version originale anglaise ou de sa copie francaise.

    3) Des petits jeunes qui font du neuf avec du vieux. En musique plus que dans n’importe quel autre domaine, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (Lavoisier).
Il y a les années 80 revisitées, et sans boîte à rythme.



Et bien évidemment des rockeuses à l’ancienne.


Malgré ces réjouissances, cette pérennité d’anciens groupes ou créativité de nouveaux qui donnent foi en notre époque, rien ne vaudra jamais les noughties.
Rien ne remplacera un Brian Molko au plus haut de sa beauté, sublimée par un coucher de soleil irréel et une intro de dingue. « Insane ».